Solidarité artistiques

Réalisé par Stéphanie Pichon en juin 2022

La guerre en Ukraine a réactivé des réseaux de solidarité dans le milieu artistique. Depuis de nombreuses années, le monde culturel met en place dispositifs et moyens financiers pour ne pas rester indifférent aux violences du monde. Trois lieux de la région évoquent les projets mis en place en direction d’artistes en exil ou de jeunes migrants mineurs.

Confiscation, chorégraphie de Yara Al Hasbani sur la confiscation du corps des femmes arabes, photo Anne-Laure Le Joliff

Aurore Claverie – la métive (Moutier-d’Ahun)

« La Métive accueille une centaine d’artistes nationaux et internationaux par an. Depuis deux ans, la DGCA1 nous donne une enveloppe financière pour accueillir des artistes en situation d’exil. Nous avons ainsi reçu, en partenariat avec l’Atelier des artistes en exil, une chorégraphe syrienne, Yara Al Asbani, un chorégraphe ukraino-congolais Cleve Nitoumbi et, cette année, un chorégraphe guinéen Karim Sylla et un poète soudanais, Wana Mohamed Nour. Ils sont tous en France depuis assez longtemps, entre deux et cinq ans. Cet accueil nous permet de partager d’autres codes de la création contemporaine, d’autres manières d’être artiste. C’est important pour notre équipe : être attentif à ce que notre programmation ne réunisse pas que des personnes blanches, cis-genre, entre 25 et 35 ans. Nous participons aussi au dispositif NAFAS de l’Institut français et de l’Institut français du Liban, en partenariat avec la Région Nouvelle-Aquitaine, qui propose des résidences à des artistes libanais. Rania Raffei est venue trois mois l’an dernier pour écrire son film. Saba Sadr, une artiste spécialisée dans le textile va lui succéder. Et puis l’an dernier, sollicités par la Scène nationale d’Aubusson, nous avons aussi répondu à l’appel du réseau des CDN2 pour l’accueil d’artistes afghans. Nous avons accueilli Ramin Mazhar, poète afghan, journaliste, défenseur des droits humains et sa femme. Ils sont arrivés en août en France, en septembre ils étaient installés en Creuse ! Depuis, on s’est occupé de tout coordonner : de la demande d’asile aux déplacements en covoiturage ou les cours de langue. Sans un réseau d’habitants engagés, nous n’aurions pu gérer seuls toute cette logistique. Il y a eu un élan de solidarité très beau. On n’est alors plus seulement dans un rapport professionnel, mais aussi d’humanité. On a aussi appris que lorsqu’on vient de tout quitter, qu’on est en état de choc, la question de l’accompagnement artistique n’est pas prioritaire. Cela n’empêche pas que Ramin inaugure notre rendez-vous annuel, la Festive, du 24 au 26 juin pour fêter les 20 ans de La Métive, avec des lectures de ses poèmes en persan. Se dire, qu’ici en Creuse, nous pouvons recevoir des personnes du monde entier, cela me donne beaucoup d’espoir. Il ne faut pas qu’on reste entre nous ! Il faut impérativement s’ouvrir au monde, que ce soit à l’habitant d’en face, ou à celui que nous aurions pu ne jamais croiser. »

Sandra Beucher – Villa Bloch (Poitiers)

« La Villa Bloch, propriété de la Ville de Poitiers, a ouvert ses portes il y a trois ans et demi. Elle accueille des résidences d’artistes dans l’ancienne maison de Jean-Richard Bloch, écrivain polygraphe et pacifiste engagé, qui a lui-même protégé des artistes fuyant les répressions franquiste et nazie. Nous pouvons accueillir quatre artistes en simultané, dont un qui fuit la répression dans son pays, via l’adhésion de la Ville de Poitiers au réseau ICORN3, réseau international des villes refuges dont le siège est en Norvège. C’est dans ce cadre qu’est arrivé il y a trois ans le poète iranien Mohammad Bamm et sa famille. La résidence devait durer moins longtemps, mais la crise sanitaire, entre autres, est passée par là. C’était une première pour nous, et nous avons pu réellement mesurer tout ce que cela impliquait d’accueillir une famille en exil : les questions administratives et sociales, l’apprentissage de la langue, le suivi psychologique… Les personnes arrivent souvent abîmées. Mohammad a été emprisonné deux fois en Iran, torturé, et la fuite via la Turquie a été compliquée. Aujourd’hui, nous préparons ensemble leur départ pour que la période post-résidence soit la plus « confortable » possible. Il y a aussi un vrai enjeu de l’accès à l’autonomie. Nous l’avons aussi aidé à traduire ses poèmes et à trouver un éditeur pour un recueil de photographies et de poésie, réalisé avec sa femme Nazanin, photographe, et tout juste paru chez Filigranes. Nous souhaitons que le prochain artiste du réseau ICORN accueilli à la Villa Bloch soit un dramaturge. Un partenariat déjà engagé avec le Méta, Centre dramatique national dirigé par Pascale Daniel-Lacombe permettrait une insertion plus évidente dans le réseau professionnel. »

Elise Autain – Le moulin du roc (Niort)

« Nous avons mis en place un système de places suspendues à la rentrée 2018 au moment où beaucoup de personnes migrantes arrivaient dans les Deux-Sèvres, des mineurs notamment. Paul-Jacques Hulot, directeur de la Scène nationale de Niort, avait repéré ce dispositif dans un théâtre du Sud de la France. Il s’agit de billets solidaires, à 20€, achetés par nos spectateurs, adhérents ou non. Le plus gros de ces places est acheté à l’adhésion, en début de semestre. Elles sont destinées à faire venir gratuitement des mineurs étrangers, pris en charge par des associations du territoire qui organisent leur venue. Par exemple, l’association niortaise Migr’action vient à chaque spectacle avec 10 à 15 jeunes. Nos spectateurs ont répondu présents dès le début, et cela semble s’inscrire dans la durée. Avant le confinement, nous avons même organisé des soirées avec les donateurs et les bénéficiaires. La première année, nous avons accueilli 200 à 250 jeunes migrants, via quatre ou cinq associations régulières. Cette année, nous nous sommes interrogés sur le fait d’élargir cette offre à d’autres publics. Nous avons eu par exemple des demandes d’associations ukrainiennes, à qui nous avons répondu positivement. Mais dans tous les cas, nous souhaitons continuer. »

Crédit photo : La famille Bamm, photo Yann Gachet

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