Benjamin Bertrand

Réalisé par Marie-Agnès Joubert en janvier 2018

Avec sa dernière création, Rafales, le danseur et chorégraphe explore la fragilité du tandem amoureux oscillantentre tensions et relâchements.

Rafales, CBB / Cie Benjamin Bertrand, Benjamin Bertrand et Léonore Zurflüh, photos Martin Argyroglo

Sur le fil tendu des sensations

Lorsque Benjamin Bertrand, alors élève de Terminale à Poitiers, découvre la danse contemporaine grâce à un atelier dirigé par Claire Servant, il éprouve un choc assez indéfinissable. Fort heureusement, la rencontre avec une autre chorégraphe, Odile Azagury, qui lui propose de se former au sein de sa compagnie et d’assister à ses répétitions, va lever toutes ses interrogations. Après avoir vu son solo conçu sur une musique africaine – « j’ai toujours eu une appétence pour des états proches de la transe », se souvient Benjamin Bertrand – elle lui déclare tout de go qu’il doit se destiner à la danse. Mais le jeune homme n’entend pas renoncer à une autre passion, la littérature, qui impulse d’ailleurs aujourd’hui son processus de création. Après deux années de prépa littéraire et tout en poursuivant ses études à La Sorbonne, Benjamin Bertrand intègre le Conservatoire à rayonnement régional de Paris. Dès sa sortie en 2011, il devient interprète sous la direction de Karine Saporta, Philippe Quesne, et surtout Olivier Dubois dont il rejoint la compagnie pour Tragédie (un spectacle qui le marquera à jamais) présenté au Festival d’Avignon et qu’il suit lors de sa nomination à la tête du Ballet du Nord. Sa première production en tant qu’auteur, Orages (2015), lui permet d’accomplir un désir ancré en lui depuis toujours : créer son propre langage. « Je n’ai pas commencé la danse dans l’optique de devenir danseur ou chorégraphe, précise-t-il, mais en considérant la scène comme un outil de recherche et de questionnement. » Dans ce spectacle où il explore son identité d’enfant né sous X, Benjamin Bertrand s’adjoint le concours du plasticien Patrick Laffont. Par la suite, le cercle s’élargit au créateur sonore Florent Colautti et à la danseuse Léonore Zurflüh, son parfait alter ego. Avec eux, il poursuit un travail autour de l’origine et du mouvement ondulatoire qui donne naissance en 2017 à Rafales.
Artisan de la matière, qu’elle soit corporelle, plastique, scénique, sonore (ou tout à la fois), Benjamin Bertrand revendique pour chaque pièce un état particulier de sensibilité qu’il souhaite partager en communion totale avec le public. D’où une prédilection pour les lieux atypiques et sa volonté d’abandonner progressivement le frontal. Pour son prochain projet, co-réalisé à Poitiers (où il est revenu s’établir l’an passé) avec le TAP, Ars Nova et le compositeur-créateur d’instruments Jean-François Laporte, le chorégraphe envisage ainsi de créer « un dispositif vibratoire  » qui prendrait place dans un espace très résonnant comme la Salle des pas perdus. Un nouveau défi pour le jeune artiste, mu par le désir constant d’apprendre.

L’Affût : En tant que jeune artiste, comment réussissez-vous à produire et diffuser vos spectacles ?

Benjamin Bertrand : Pour Rafales, par exemple, j’ai commencé à monter la production grâce à une bourse d’écriture accordée par la Fondation Beaumarchais de la SACD. J’ai bénéficié en 2016 de trois résidences qui m’ont permis de montrer le travail en cours, puis j’ai décidé d’établir ma compagnie à Poitiers où j’ai rencontré l’équipe du Théâtre auditorium (TAP). Son soutien a été extrêmement précieux, de même que celui de l’OARA et de La Briqueterie-CDC du Val-de-Marne où s’est déroulée la première. Côté diffusion, le spectacle a été programmé lors des Petites scènes ouvertes à Paris puis le sera au Festival 30/30 à Bordeaux et au Festival À corps au TAP. Il est important de savoir situer un travail dans sa singularité et pour cela, il faut le rendre visible. Je n’ai toutefois pas envie d’être enfermé dans des circuits de visibilité pour chorégraphes émergents, où la présentation d’extraits de spectacles me paraît poser problème. Mon ambition est de proposer un spectacle d’une heure sur un plateau.

L’Affût : Comment votre dernière création, Rafales, s’inscrit-elle dans la lignée des précédentes ?

Orages se concluait sur une sorte de danse du ventre. J’ai voulu poursuivre cette recherche autour d’un mouvement ondulatoire en lui ôtant toute empreinte orientaliste. À partir de là, j’ai entamé un travail avec Léonore Zurflüh, comme un jeu de questions/réponses. Nous nous sommes aussi appuyés sur deux textes, Phèdre dit par Dominique Blanc et Paradis II de Philippe Sollers, un récit sans aucune ponctuation, une espèce de litanie ondulatoire. J’ai souhaité créér un dispositif plastique assez simple constitué d’un ventilateur et d’une bâche en plastique, pour travailler sur ce lien mystérieux entre deux mouvements ondulatoires, l’un extérieur et l’autre intérieur, cette double distance qui se trouve aussi dans la relation que nous entretenons, Léonore et moi. La question de la distance, de l’intervalle, m’intéresse en effet beaucoup : que fait apparaître la distance qui me sépare d’un autre corps et comment mettre en forme ce vide-là ? Comment aussi puis-je regarder l’autre comme si c’était moi, comment puis-je entrer en empathie avec lui ?

CBB / Cie Benjamin Bertrand
06 30 29 07 81,
ciebenjaminbertrand@gmail.com
benjamin-bertrand.net

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