Compagnie Androphyne

Réalisé par Marie-Agnès Joubert en mai 2020

Hors des sentiers battus de la danse contemporaine, la compagnie landaise a réussi à imposer son écriture singulière.

[…] Ou pas, – Cie Androphyne, photo Magali Pobel

Objets chorégraphiques non identifiés

Dès sa sortie de l’École du Centre national de danse contemporaine d’Angers où il a rencontré sa future complice, Magali Pobel, Pierre-Johann Suc est mû par un unique désir : fonder une compagnie pour y développer leurs propres objets artistiques. « Nous avions une vingtaine d’années et l’inconscience de la jeunesse », plaide-t-il. En réalité, les jeunes artistes savent parfaitement quel chemin ils souhaitent emprunter, ou du moins celui à éviter : enchaîner les auditions pour devenir les danseurs que l’on attend qu’ils soient. L’année qui suit la création en 1998 de la Compagnie Androphyne basée à Angresse (Landes), leur rencontre avec Manuel Sorto, cinéaste et homme de théâtre salvadorien, les conforte dans l’envie de placer l’image au cœur de leur travail, et plus largement de s’affranchir des codes liés à la danse. Depuis leur premier spectacle, Quelques gouttes de pluie bavardent en riant avant de sauter dans le vide (1999), Pierre-Johann Suc et Magali Pobel défendent ainsi un art résolument pluridisciplinaire. Théâtre, musique, installation plastique, vidéo… Peu importe le medium choisi, pourvu que celui-ci serve efficacement le propos et les thématiques chères au duo, telles que la manipulation (Le spectacle dont vous êtes le héros), les mécanismes du choix ([…] ou pas), ou encore le poids de l’Histoire et de la mémoire familiale (Faites demi-tour dès que possible). Après avoir séduit plusieurs producteurs et diffuseurs les premières années – « Le goût de la nouveauté fait qu’on vous passe à peu près tout », explique Pierre-Johann Suc – la compagnie commence à susciter vers 2006 des avis plus tranchés, adoration ou rejet. Un signe de la pertinence de sa démarche. « Quand nos pièces ont été perçues par certains comme radicales, nous nous sommes dit que nous avions réussi à installer notre univers », se souvient le co-directeur artistique de la Compagnie ; laquelle va dès lors bénéficier du soutien fidèle de Centres chorégraphiques nationaux (Orléans, Biarritz) et des Centres de développement chorégraphiques (Toulouse, Dijon, Avignon…), être associée au Parnasse de Mimizan puis, de 2013 à 2017, au Cuvier (Artigues-près-Bordeaux). Rentrée, en apparence, dans le rang, Androphyne continue cependant de brouiller les cartes, en investissant l’espace public puis, pour Searching for Elias (hommage au plasticien Elias Pozornski, en 2014), la sphère des arts plastiques avec notamment des représentations données au FRAC d’Orléans.
Parallèlement à la diffusion, la compagnie initie de nombreuses actions culturelles (stages, ateliers, créations avec des amateurs…) et s’attache à développer des projets sur les territoires qu’elles traversent (concevant, par exemple, des pièces éphémères dans des théâtres en phase de destruction avant rénovation) et bien entendu celui où elle est établie. Aux longues tournées hors de leur région, Pierre-Johann Suc et Magali Pobel ont en effet toujours préféré la relation de proximité avec une ville et ses habitants. En témoigne la création du tiers-lieu Le Container où ils ont trouvé leur port d’attache.

L’Affût : Parlez-nous de votre dernière création No Futur No Passé simple… Comment réussissez-vous à la monter en cette période de confinement ?

Pierre-Johann Suc : Ce spectacle est directement lié à Faites-demi tour dès que possible, sur les hypothétiques origines juives de ma famille, présenté il y a dix ans. Le projet se composait alors de trois volets : le premier solo monté par la compagnie, un film documentaire et un nouveau solo interprété par mon père sur la base de celui que j’avais créé et auquel participait ma fille Romane, qui avait trois ans à l’époque. Lorsqu’elle n’a plus voulu jouer, nous avons tout arrêté. Récemment, elle et son frère jumeau Aurel, désormais âgés de 16 ans nous ont interrogés sur le spectacle, ce qui nous a incités à en proposer une troisième version. No Futur No Passé simple réunit Magali et moi, nos enfants, la mère de Magali et mon père : trois générations, pour réfléchir sur la transmission, la notion de souvenirs… Des répétitions ont eu lieu au Container avant le confinement, et nous avons pu les poursuivre avec les enfants. Nos parents en revanche sont séparés de nous, mais nous nous reverrons à la fin du confinement. La création étant prévue en septembre au festival Bien Fait ! de Micadanses, nous disposerons encore d’un peu de temps.

L’Affût : Pourquoi avoir créé un tiers-lieu, Le Container ? Et quelles activités y développez-vous ?

Depuis quelques années, nous recherchions un espace où fabriquer et stocker des décors, mais aussi enregistrer des musiques. Nous voulions toutefois partager ce lieu, et qu’il ne soit pas uniquement culturel. Il fallait également penser son modèle économique. Nous avons donc décidé de scinder Le Container, basé à Angresse et d’une surface de 450 m2, en deux niveaux : un espace de 120 m2 dédié aux artistes et pouvant accueillir du public en bas, et à l’étage un espace de coworking. La location des bureaux paye le loyer et permet ainsi à des artistes de travailler gratuitement. Nous disposons d’un atelier de fabrication, d’un plateau et d’un studio d’enregistrement. Le Container propose des accueils en résidence, commence à coproduire des projets et organise en juillet le festival Make Noise Fest. À l’origine, celui-ci était plutôt orienté musique, chaque sortie de résidence chorégraphique étant suivie d’un concert afin que l’on puisse s’adresser à tous les publics. Cette année, il s’ouvre davantage encore puisque nous y proposerons de la bande dessinée et des arts plastiques.

Androphyne
18 Avenue de Paris 40150 Hossegor
androphyne@gmail.com – androphyne.com

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