Culture et santé : « Il faut continuer à expérimenter »

Réalisé par Stéphanie Pichon en avril 2021

La sociologue Françoise Liot, maître de conférence à l’Université Bordeaux Montaigneet membre du centre de recherche Émile-Durkheim, s’intéresse depuis longtempsaux politiques publiques culturelles, et plus particulièrement au dispositif Culture et Santé.Engagée dans un programme de recherche en partenariat avec le Pôle Culture et Santé en Nouvelle-Aquitaine,elle co-signe, avec Sarah Montero et Chloé Langeard, un ouvrage-somme* sur cette politique intersectorielle.

Photo Lukas (Pexels)

L’Affût : Un peu plus de 20 ans après la création du dispositif Culture et Santé, quel bilan peut-on en tirer ?

Françoise Liot : Notre enquête sociologique observe les évolutions sur le long terme, notamment la manière dont le dispositif vient interroger les pratiques : celles du monde artistique mais aussi celles propres au secteur de la santé. Ce dernier n’a certes pas attendu les projets culturels pour se questionner, mais ils éclairent la relation patient-soignant, la réorganisation très technique de l’hôpital, ses manques par rapport à la prise en compte de la personne. Ils permettent aussi que les acteurs de la santé s’accordent une réflexivité sur leurs pratiques, là où d’habitude, ils n’en n’ont pas le temps. Ce dispositif questionne aussi les façons de construire les politiques publiques, puisqu’elles sont ici intersectorielles et reposent sur des partenariats.
L’Affût : Les politiques publiques se sont-elles suffisamment emparé de ce dispositif ?
Il repose au départ sur une convention entre les deux ministères. Par la suite, les collectivités territoriales s’en sont emparé de façon très disparate. La première région à s’en saisir, a été Rhône-Alpes, dans une dynamique initiée par l’Agence régionale de santé (ARS). Sur d’autres territoires, c’est plutôt le secteur culturel qui a été moteur. En Nouvelle-Aquitaine, la Région a la particularité d’être impliquée aux côtés de l’ARS et de la DRAC. Enfin, sont apparues des structures intermédiaires comme le Pôle Culture et Santé en Nouvelle-Aquitaine ou Interstices en Rhône-Alpes. Elles sont missionnées pour devenir des pôles ressources, faciliter l’articulation entre les deux secteurs et professionnaliser l’ingénierie de projet.

L’Affût : La culture et la santé sont deux secteurs qui n’ont pas les mêmes modes de fonctionnement. Comment s’est fait l’acculturation?

Il n’est pas facile de faire travailler ensemble deux secteurs qui fonctionnent très différemment. Cette acculturation a nécessité des ajustements constants. Aujourd’hui, la temporalité courte des appels à projets pose question, notamment aux acteurs culturels. Travailler à un projet une seule fois dans un EHPAD peut s’avérer frustrant. Cela empêche qu’une relation s’installe sur le long terme. Alors qu’un projet sur plusieurs années permet de ne pas repartir de zéro à chaque fois, d’enrichir, de progresser, d’affiner.

L’Affût : On sait l’importance de ces projets pour les acteurs culturels, qui s’en sont saisis pleinement. N’est-ce pas plus difficile pour le secteur de la santé ?

C’est peut-être moins facile pour un EHPAD ou à l’hôpital, où il existe des tensions fortes en terme de temps et de personnel. Et pourtant, la réussite d’un projet Culture et Santé repose sur la mobilisation de toute une équipe et l’implication des directions. Dans certaines structures de santé, des intermédiaires existent déjà, comme les animateurs dans les EHPAD, qui constituent des relais indispensables. Certains hôpitaux ont également recruté des personnes dédiées, comme le CHU Pellegrin ou l’Institut Bergonié à Bordeaux. Ce dernier a été très en pointe avec un service qui a permis un compagnonnage avec de nombreux artistes depuis une quinzaine d’années.

L’Affût : Ces projets sont-ils suffisamment valorisés ?

Nous constatons qu’ils restent souvent dans l’ombre. Quand ils s’achèvent, se pose la question de comment les montrer, quelle trace laisser. Le milieu culturel a souvent du mal à s’en emparer pleinement et les rendre visibles. Autant ce dispositif agite les pratiques et représentations des artistes comme des soignants, autant il a beaucoup de mal à faire bouger les organisations. Comment capitaliser ces expériences ? C’est ce que travaillent les associations intermédiaires comme le Pôle Culture et Santé. Ils valorisent ces initiatives et leur donnent une visibilité. Ceci dit, je constate que de plus en plus de documentaires, notamment sur Arte, rendent visibles ces projets. Peut-être parce qu’ils interrogent autrement le sens de l’art et la manière dont ils résonnent avec des aspects du monde social, et qu’ils retrouvent le sens de ce que peut être la création artistique. Ou du moins, une de ses significations.

L’Affût : Quel nouvel élan l’État et les collectivités territoriales pourraient ou devraient-ils donner à ce dispositif, notamment à l’aune des droits culturels ?

Les droits culturels viennent vraiment soutenir ces projets artistiques particuliers. Ce n’est pas pour rien que le Pôle Culture et Santé a été engagé, en Nouvelle-Aquitaine, dans l’expérimentation sur les droits culturels. S’il est difficile de se projeter sur les années à venir, je pense qu’il faut continuer à expérimenter et ne pas figer ce dispositif dans une injonction ou une obligation pour les artistes. Les politiques publiques peuvent avoir la tentation d’assujettir l’art à une utilité sociale. Il faut continuer à être un aiguillon, et ne pas rentrer dans un cadre trop normatif. C’est peut-être cela le plus compliqué.

Le pôle culture et santé en Nouvelle-Aquitaine

Créé en 2011, le Pôle Culture et Santé en Nouvelle-Aquitaine existe sous forme de Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) et facilite l’interconnaissance entre le monde des arts, de la culture et de la santé. Ses missions ? Proposer des formations propres aux projets Culture et santé, imaginer des dispositifs expérimentaux, accompagner des programmes de recherche sur ces questions, valoriser les projets et faciliter la mise en réseau de ses acteurs.
culture-sante-aquitaine.com

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