Les chevaliers d’industrie

Réalisé par Stéphanie Pichon en octobre 2021

Cette jeune compagnie implantée à Limoges, présentera sa première création, Lazarus, en novembre à Gradignan.Un mélange inédit de marionnette, de théâtre et de magie.

Lazarus, Les Chevaliers d’Industrie, Antonin Dufeutrelle, photo Estelle Delville

Trio touche-à-tout

Gabriel Allée, Estelle Delville et Antonin Dufeutrelle se sont rencontrés à l’Académie de L’Union, formation théâtrale limousine dont ils sont tous sortis en 2019. Quelques mois à peine après leur diplôme, est née cette compagnie au drôle de nom, les Chevaliers d’Industrie, terme désuet dont Antonin rappelle, qu’à l’origine, il « qualifiait des personnes qui arrivent à s’insérer dans un cadre social et culturel qui n’est pas le leur. » La compagnie retient plutôt l’autre partie de la définition, celle de personnes vivant d’adresse et d’invention, des joueurs et des bonimenteurs. Bel horizon de recherche pour une troupe qui a d’emblée choisi un mélange étonnant de magie, de marionnette et de théâtre, qui est le ciment de leur toute première création, Lazarus. Antonin Dufeutrelle y joue seul en scène, avec une marionnette, Fosco. La première aura lieu en novembre prochain, au Théâtre des Quatre Saisons de Gradignan, pendant son temps fort A l’autre bout du fil. Directement dans la cour des grands.
Constitués en compagnie quelques mois seulement avant la pandémie, ces trois jeunes comédiens se disent tout de même chanceux. « Ceux qui ont vraiment souffert, sont ceux qui avaient une création à présenter en 2020, estime Estelle. Nous en étions au tout début de Lazarus. Nous avons confiné à trois et bénéficié de ces deux mois pour apprendre à fabriquer des marionnettes tout seuls, répondre à des appels à projet. Cela nous a donné un laps de temps supplémentaire, assez confortable lorsqu’au début, on tâtonne un peu. » Chanceux encore d’avoir fréquenté cette solide formation, adossée au Théâtre de l’Union, qui leur a assuré un soutien du CDN et de ses réseaux, à la fois financier et pour des temps de résidence. Au-delà de l’accompagnement de Jean-Lambert Wild, ancien directeur, ils ont aussi tapé dans l’œil de la Scène Nationale d’Aubusson, qui les suit depuis leurs débuts. Enfin, ils ont été pris sous l’aile des Anges au plafond, compagnie de marionnettistes reconnue, installée à Malakoff. Une amitié, une collaboration artistique, et un parrainage fécond qui ont débouché sur des résidences et un regard extérieur essentiel pour avancer.
Aujourd’hui, à quelques semaines de la première de Lazarus, ils ont déjà en tête leur prochain spectacle. Ce ne sera plus Antonin sur le plateau, mais Estelle et Gabriel. « Pour inverser les rôles » disent-ils. Ce projet se déroulera dans un bar où les effluves de l’ivresse viendront chambouler le réel. Avec, toujours, ce mariage audacieux de la magie, de la marionnette et du théâtre.

L’Affût : Vous sortez de l’Académie de l’Union, formation plutôt axée théâtre, à Limoges. Pourquoi être allé aussi vers la marionnette et la magie ?

Antonin Dufeutrelle : Pendant notre formation de trois ans à l’Académie, nous avons travaillé d’autres disciplines que le théâtre, sur notre temps libre : de la danse, de la marionnette… des domaines dans lesquels nous ne sommes pas de grands spécialistes. Cela nous amusait de faire des choses qu’on ne sait pas du tout faire !
Estelle Delville : Gabriel a apporté la magie, qu’il a découvert enfant, et la marionnette qu’il a rencontré au conservatoire, avant d’arriver à l’Académie. Notre projet personnel, présenté en fin de formation, était déjà un spectacle où la marionnette et la magie étaient présentes. Nous aimons la confrontation entre les arts et la manière dont magie et marionnette viennent enrichir le théâtre. Pour Lazarus, j’ai fabriqué le prototype de la marionnette. J’aime ces essais de formes, de matières, ces temps de recherche. C’est Caroline Dubuisson, des Anges au plafond, qui lui a ensuite donné sa forme finale.

L’Affût : Gabriel, pourquoi cet intérêt pour la magie?

Gabriel Allée : Parce qu’il y a tout dans la magie ! C’est un art formidable, qui mélange énormément de disciplines : un art de l’objet, mais aussi de la parole, de l’intention. Le boniment, le phrasé hypnotique, les suggestions : la parole y est manipulatrice et la magie s’empare d’elle pour venir au bout de ses illusions. Sa définition même est mouvante, chaque spectateur arrive avec la sienne. C’est une expérience d’actorat radicalement différente de celle du théâtre, qui vient balayer de vieilles conceptions, réunir le vrai et le faux, l’imaginaire et la réalité, toutes ces choses qui ne sont pas si opposées, loin de là.

L’Affût : Que raconte Lazarus?

Gabriel Allée : C’est un show magique, où les spectateurs devinent à travers les numéros, l’histoire de Lazarus et de sa marionnette, Fosco. Seul en scène, Antonin se déplace avec cette marionnette médiumnique, qui peut deviner tout ce qui se passe dans l’esprit des gens. Lazarus, c’est un étranger. C’est un personnage travaillé par l’étrange, dont la vie est tournée vers l’émerveillement des gens. Les numéros ne racontent pas forcément grand chose mais s’inscrivent dans une histoire plus large. C’est un peu comme dans un cabaret, vous n’êtes pas là pour comprendre ce qui se passe, mais pour être dans un rythme, et voir simplement ce que vous voyez.
Estelle Delville : On s’est beaucoup inspiré des histoires de bonimenteurs de Romain Gary, Les Enchanteurs. On s’est aussi tourné vers la ventriloquie. Nous voulions pousser le plus loin possible l’idée d’une indépendance de la marionnette. Lazarus et Fosco semblent vraiment deux êtres à part.

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