L’évolution des pratiques artistiques et culturelles à travers l’expérience des tiers-lieux

Réalisé par Mélissa Gentile en octobre 2021

Lorsqu’il comporte un projet culturel, le tiers-lieu présente des similitudes avec les « friches culturelles »ou les « lieux intermédiaires et indépendants », mais il en diffère en se situant dans une logique multisectorielle,d’ouverture et fortement orientée vers le développement territorial, dont il se veut l’un des moteurs.

Véronique Béland, photo Les Usines

Qu’est-ce qu’un tiers-lieu ?
Entre le domicile et le lieu de travail, un tiers-lieu est un espace de sociabilité ouvert à tous, abordable et flexible mis en oeuvre par un collectif, au service d’un territoire. Un tiers-lieu est l’incarnation, dans un espace d’activités marchandes ou non marchandes, d’un contrat social qui se décompose à travers trois dimensions : un parcours d’émancipation individuelle, une dynamique collective, une démarche motivée par l’intérêt général. Les tiers-lieux doivent permettre à chacun et collectivement, de se saisir de son pouvoir d’agir et de répondre aux grands enjeux de la transition qui s’impose à nous aujourd’hui. Ce sont des projets structurants de territoires, qui (re)dynamisent un quartier, un village. Ces espaces sont conçus pour créer les conditions les plus favorables à l’éclosion des idées et à la coopération locale.

Culture de l’expérimentation et de maillage
Bien que les institutions culturelles aident à la création de nombreuses équipes artistiques, celles avec des propositions transdisciplinaires ou des projets plus exploratoires peinent à trouver leur place au sein des structures comme le rappelle le rapport Nos Territoires en Action. Questions de temporalité, de reconnaissance institutionnelle, d’accessibilité, ces équipements ne suffisent pas à répondre aux artistes. La culture de l’expérimentation, le droit à l’erreur, l’apprentissage par le faire, le décloisonnement des pratiques et des disciplines, le soutien aux porteurs de projet (de l’émergence à la professionnalisation) composent l’ADN des tiers-lieux. « Ils mettent du temps à la disposition des équipes artistiques et offrent aux artistes un cadre propice à la création, un accès à des espaces de travail et à d’autres compétences, notamment entrepreneuriales (indépendants, TPE/PME, télétravailleurs…) ou artisanales (makers, bricoleurs…) dont ils peuvent avoir besoin pour leurs activités. »1 Ancrés sur leurs territoires, les tiers-lieux connectent leurs membres avec leur écosystème y compris l’économie sociale et solidaire (ESS), facilitant une réflexion sur les modes de production, de gouvernance notamment de projets collectifs.

Statuts et évolution du parcours : de l’utilisateur à l’acteur
Les statuts des utilisateurs sont multiples, changeants, cumulatifs, les tiers-lieux sont ouverts à tous. L’individu qui en franchit la porte continue son parcours d’émancipation c’est-à-dire un processus de réalisation de soi et de conscientisation de son indivisibilité, nécessaire à l’ouverture aux autres et à l’engagement dans un collectif. Ce parcours peut se décomposer ainsi : être présent, utiliser, être soi-même, reconnaître les autres, participer, prendre ses responsabilités et s’engager dans un collectif de projets. Comme le souligne Raphaël Besson, en contre-pied d’une politique culturelle diffusionniste et descendante, le tiers-lieu est un espace de recherche et création favorisant la critique et la construction « de manière active et ascendante de nouveaux savoirs, cultures ou dispositifs créatifs. » Les utilisateurs sont largement conviés à contribuer à la programmation événementielle.

Décloisonnement et hybridation : un vecteur de participation ?
« Vouloir co-construire des processus artistiques entre artistes professionnels et autres acteurs locaux revient […] à faire entrer simultanément en résonance et en confrontation la culture portée par les premiers et celle des personnes, des groupes, des communautés avec lesquels ces artistes engagent un échange qui se veut plus symétrique. » Christine Graval, cofondatrice des Usines confirme les effets du décloisonnement et de l’hybridation sur la participation des habitants. L’accès se vit beaucoup plus naturellement dans un tiers-lieu que dans un lieu « estampillé » culture. Elle explique ainsi qu’un habitant vient à un défrichage dans le cadre d’un chantier participatif où tout le monde « joue du sécateur », où tous sont réunis sur le lieu non pas en fonction de leur statut mais pour créer du « commun » et c’est dans ce contexte qu’il fait des rencontres qui l’amèneront à aller découvrir d’autres activités du lieu comme le fablab ou le projet de l’artiste avec qui il a débroussaillé. Le décloisonnement interpelle les artistes professionnels dont le geste de création s’augmente d’une réflexion élargie tant sur le processus, la réalisation et son économie que sur son rapport à la société.

Les tiers-lieux : une mise en actes des droits culturels ?
Mettant en œuvre l’ouverture à tous, défendant l’accessibilité par la pratique d’échanges non monétaires et de tarifs bas, favorisant les rencontres informelles et la convivialité, les tiers-lieux constituent des espaces publics de proximité d’un nouveau genre, dont la configuration semble propice au respect et à la pratique des droits culturels. On peut bien sûr y venir pour travailler, mais également pour cultiver un potager avec ses voisins, pour fabriquer au fablab une pièce pour son instrument de musique traditionnel ou encore pour animer un atelier de tango argentin. Le tiers-lieu est une boîte à outils au service de l’épanouissement personnel, favorable à la construction d’une identité culturelle. La philosophie du faire par soi-même participe de cette valorisation de la personne et de ses capacités propres à réaliser par elle-même, à ne plus être simple consommatrice ou réceptrice… mais bien actrice de sa propre vie.
La dimension collective y est tout aussi fondamentale. La capacité des tiers-lieux à réunir un ensemble hétérogène de personnes au sein de collectifs ouverts prônant un fonctionnement horizontal fait écho aux droits culturels. Au regard de ceux-ci, il ne s’agit pas seulement de permettre à chacun de construire son propre parcours culturel, mais bien de favoriser une posture d’ouverture à l’autre, de respect et d’intérêt pour l’autre dans sa différence.

Sources : Fiche Les tiers-lieux à dimension culturelle la-nouvelleaquitaine.fr/fiches-elues-culture

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